Zama9tel et histoires en queue de poisson

Ce qui est bien aujourd’hui en Tunisie, c’est que l’on parle d’islam, et on en parle beaucoup. Que ce soit en bien ou en mal, l’important c’est que l’on en parle.

Entre ceux qui s’emportent, s’entêtent, discutent, s’informent, s’emmêlent les pinceaux. Ceux qui ont toujours un verset à la bouche pour chaque situation. Ceux qui suivent les traces du prophète dans la vie de tous les jours quitte à passer pour un extraterrestre. Ceux qui regrettent les conquêtes, les expéditions, l’Andalousie. Ceux qui pointent du doigt pour un oui ou pour un non la franc-maçonnerie. Ceux qui parlent des savants, des dernières fatwas, de s’il fallait en parler ou s’il aurait été mieux de se taire. Ceux qui ratent leurs prières. Ceux qui poussent le délire, évoquent les signes de la fin des temps, ceux qui voient en tout un avertissement. Ceux qui interprètent, extrapolent et rabotent un peu sur les bords, pour que ça corresponde à leur envies, aux théories qu’ils élaborent. On parle aussi de tel ou tel imam, de sa récitation, de son sermon du vendredi, de tel ou tel habitué, de sa façon de se prosterner, de ses murmures, de sa barbe, de sa panoplie. De telle ou telle mosquée, ses colonnes, ses tapis, son minaret. On parle aussi de politique, de partis islamiques, d’Al Qaeda, des salafistes jihadiques. On parle de finance islamique, de charia, de ramadan, des chiites, des sunnites, de la Palestine, de la Syrie. On parle devant les mosquées, à la maison, au boulot, en taxi, au café, à la fac, au lycée, à la télé, à la radio, sur internet et dans les librairies.

Ça fait longtemps que j’essaye d’évoquer le sujet de cette queue de poisson qui orne son magasin, avec l’épicier du coin. J’en avais déjà parlé à la caissière mais elle m’a sorti ; je ne suis pas la responsable. Donc j’ai chopé le proprio seul, un jour. Je n’ai même pas fini ma phrase qu’il l’avait déjà terminée ; … shirk ! me cria-t-il, avant d’ajouter, d’ailleurs le prophète a dit ; celui qui accroche un objet ne verra jamais le succès, et il commença à me sortir toutes les infos qu’il connaissait à propos du shirk que représentent les gris-gris et autres porte-bonheurs, toutes les mains de Fatma, l’œil de je ne sais pas qui, la patte de lapin, la corne de gazelle, etc…

Le tunisien d’aujourd’hui a accumulé en quelques mois ce que les générations précédentes n’ont pas assimilé en plusieurs années, même s’il est vrai que la situation politique ne s’y prêtait pas. Mais je suis fasciné par le degré actuel de connaissance du tunisien en matière de religion.

Aujourd’hui, à la mosquée je vois des adolescents avec des jeans Slim et des coupes iroquoises, pendant la prière du vendredi. Je les regarde stupéfait. Il est clair que c’est tout récent pour eux, ils sont là à effectuer les mouvements de prière maladroitement, d’un air pas très sur, à regarder la masse de personnes qui les entourent, tellement différents ; du vieil homme en jebba au jeune cadre en costard. Du maçon au petit qui accompagne son père. De l’handicapé au fameux joueur de volley-ball de plus de deux mètres qui joue dans l’équipe locale. Parmi toutes ces personnes ce sont les jeunes garçons de 14, 15 ans, fraichement sortis du derniers cours de math ou de sciences naturelles à midi tapante, se rendant à la mosquée en groupe qui me captivent le plus. Il y en a toujours un qui fais mine de s’y connaitre plus que les autres, qui sait où se trouve la midha, qui leur montre le chemin pour éviter la foule ou la porte la moins bondée (la troisième à droite). Chose que les mecs de ma génération ne faisaient pas, en tout cas, moi je ne connaissais personne qui le faisait. Et quand je dis des lycéens, je parle de lycéens normaux, le genre d’adolescents que tu vois dans la rue aujourd’hui. Ceux dont tu regarde la coupe en premier car tu essaye de comprendre la démarche qu’ils ont suivie pour aboutir à ce résultat ou la matière qu’ils ont utilisée pour fixer ce genre de sculptures. Je ne parle pas du fils du muazzin ou du fils de l’imam, qui a commencé « sa carrière » assez jeune de par la fonction de son père. Je parle du jeune que l’on voit au café, sur un scooter ou dans une salle de jeux en réseau, les mains accrochées à la manette et les yeux rivés sur l’écran.

Bref, aujourd’hui on en parle aussi en mal. On parle d’hypocrisie, de foi, de soumission, de mécréance, de corruption. On critique, on met en doute jusqu’à l’authenticité du texte sacré. On traite de koffars, on veut réduire les libertés… et le Zama9tel ! On met en avant la violence, l’oppression, le sexisme, on maquille la vérité. On oublie la compassion, la morale, la bonté et on ne montre pas assez… et le Zama9tel !

Quoique des fois, j’aurais aimé apprendre le Zama9tel. Comme cette fois où je quittais le parking de Kantaoui et qu’un flic à deux têtes (ou c’était peut être son cou) me barre la route avec son quad et qu’il commence à me regarder en faisant mine d’accélérer à 10 cm de mon pare-choc. Une armoire à glace, rasé, bronzé, balafré (ou c’était peut être sa bouche). Je regarde à droite, à gauche, je ne bloque personne. Je lui fais un signe de la main lui demandant ce qu’il se passe et là il fustige. Il me sort directement ; si t’es un homme descend ! Je ne peux pas ne pas m’exécuter, il s’agit là d’une question de virilité. Je n’ai même pas fermé la porte de la voiture qu’il me lance ; Ne me considère pas comme un policier, viens te frotter à moi si tu as une bounia shiha (poing solide) ! Qu’est ce que je peux répondre à ça ? Tout en continuant à analyser la situation, à faire un Rewind en arrière pour re-visualiser les évènements et essayer de chercher le pourquoi du comment, je lui réponds tout simplement ; c’est quoi ton problème, mec ? Et là il continue à aboyer, mais puisque j’étais en mode Matrix où tout se passait en Slowmotion et que la petite loupe effectuait encore de petits mouvements en forme de cercle au dessus des dossiers qui défilent dans mon disque dur interne, et que les cris des taxistes qui se sont regroupés ont étouffé un peu la voix du gentil flic, je n’ai pu distinguer que des bribes : Ouaf ! …vous les barbus …Ouaf, ouaf ! … faire la loi …Ouaf ! …prisons …. Ouaf, ouaf ! …casse ta gueule … Ouaf !

Je rétorque avec une phrase bateau qui ne donne ni une impression d’agressivité, ni une impression de se laisser-faire qui n’a pour seul but que de me faire gagner quelques secondes de plus pour réussir à cerner toute la situation ; mais c’est toi qui me bloque la route avec ton engin, c’est quoi le rapport avec ce que tu raconte ? Et je reprends directement la Slowmotion en élaborant des scénarios de Zama9tel dans ma tête. Je revois tous les films de Bruce Lee que j’ai regardé étant gosse, les acrobaties de Jackie Chan (que je zappe direct), les combats de Free Fight défilent devant mes yeux, Dragon Ball Z, Ken le survivant, les attaques des Chevaliers du Zodiaque, les cours de Jiu Jitsu Brésilien à la salle olympique, et enfin je me décide. J’avais décidé de faire dans le simple et efficace. Je n’avais que trois options ; les yeux, le cou ou les Ouilles, ces dernières étant l’endroit que j’avais choisi de viser avant de sauter dans la voiture et de me casser.

Je désactive donc le mode Bullet-time de Max Payne et là j’entends ; s’il n’y avait pas tous ces gens, ça aurait été une histoire. Il remonte sur son engin et s’en va.

Je remonte dans mon engin et je m’en vais.

Bref, on parle beaucoup d’islam en Tunisie, on mélange, on confond, on fait des amalgames, on parle devant sa webcam, on partage sur Facebook, c’est le souk ! Et le Zama9tel !